L'elégance du hérisson - Muriel Berbery Edit. Gallimard - Paris
Je m'appelle Renée, j'ai 54 ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle un immeuble bourgeois. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l'image que l'on se fait des concierges qu'il ne viendrait à l'idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants.' 'Je m'appelle Paloma, j'ai douze ans, j'habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c'est le bocal à poissons, la vacuité et l'ineptie de l'existence adulte. Comment est-ce que je le sais ? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C'est pour ça que j'ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai.'
Deux récits s'entre croisent dans ce roman : le journal d'une concierge, et celui d'une enfant de 12 ans. Mais pas n'importe quelle concierge, et pas n'importe quelle enfant de 12 ans. La première est une intellectuelle d'une cinquantaine d'an nées qui se dissimule de son mieux derrière ses airs de concierge revêche d'un immeuble pari sien huppé. La seconde est la petite dernière d’une riche famille vivant dans ce même immeuble, sur douée et d'une maturité extraordinaire, qui a décidé de se sui ci der le jour de ses 13 ans. La première nourrit une haine cordiale à l'en contre des riches dont elle est la concierge, et des riches en général, selon elle tous in capables de considérer les petites gens comme des êtres à part entière. La seconde est bouffie de prétention, se considère d'une lu ci di té sans faille et pré tend, du haut de ses 12 ans et de son intelligence surdéveloppée, avoir déjà tout compris à la vie.
Arrive en suite l'élément perturbateur de l'histoire, évidemment : un riche Japonais, Monsieur Ozu, emménage dans l'immeuble. Le riche Japonais, contrairement à ses semblables (les autres riches de la planète), semble voir au fond des choses, et va venir bousculer (enfin pas trop quand même) les convictions de chacun des deux per son nages féminins du récit. Non seulement c'est banal, mais la nationalité de l'élément perturbateur ne fait que renforcer l'aspect cliché de tout ceci : les Occidentaux ne se fient qu'au paraître, les Japonais ont compris le sens (et l'essence) véritable de la vie. Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin ; au rayon des idées toutes faites, on trouvera également : les riches vivent irremédiablement enfermés dans leur monde, tous de parfaits crétins), les pauvres sont humbles et généreux... sans oublier les personnages caricaturaux au possible : la mère de famille qui suit une psychanalyse et se shoote à coups d'antidé presseurs et de somnifères, le fils de bonne famille drogué qui s'en sort grâce à l'amour et au travail manuel, la vieille bigote de droite acide et pincée... Le tout vu par les yeux d'une femme aigrie (la concierge) ou d'une gamine immodeste (Paloma). Drôle de tableau, en vérité.
Extrait du livre: « L’Elégance du hérisson » roman de Muriel Barbery
Alors, buvons une tasse de thé.
Comme Kakuzo Okakura, l’auteur du Livre de Thé, qui se désolait de la révolte des tribus mongoles au XIIIe siècle non parce qu’elle avait entraîné mort et désolation mais qu’elle avait détruit, parmi les fruits de la culture Song, le plus précieux d’entre eux, l’art du thé, je sais qu’il n’est pas un breuvage mineur. Lorsqu’il devient rituel, il constitue le cœur de l’aptitude à voir de la grandeur dans les petites choses. Où se trouve la beauté ? Dans les grandes choses qui, comme les autres, sont condamnées à mourir, ou bien dans les petites qui, sans prétendre à rien, savent incruster dans l’instant une gemme d’infini ?
Le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accession à des sensations simples, authentiques et raffiné, cette licence donnée à chacun, à peu de frais, de devenir un aristocrate du goût parce que le thé est la boisson des riches comme elle est celle des pauvres, le rituel du thé, donc, a cette vertu extraordinaire d’introduire dans l’absurdité de nos vies une brèche d’harmonie sereine. Oui, l’univers conspire à la vacuité, les âmes perdues pleurent la beauté, l’insignifiance nous encercle. Alors, buvons une tasse de thé. Le silence se fait, on entend le vent qui souffle au-dehors, les feuilles d’automne bruissent et s’envolent, le chat dort dans une chaude lumière. Et, dans chaque gorgée, se sublime le temps.
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